Être présent ne va pas de soi. Qu’il s’agisse d’être présent à soi ou à ce qui nous entoure cela demande un effort, la conscience que justement on ne l’est pas, présent, et qu’il faut rectifier la position et venir, revenir, dans la conscience de l’instant présent. C’est encore plus vrai, plus difficile et plus important pour la présence à l’autre. Dans un échange à deux ou trois, combien de fois avons-nous entendu, ou prononcé nous-mêmes, le fameux « tu n’es pas là, tu n’es pas avec nous » ? Plus qu’un effort, cela demande une décision, c’est-à-dire trancher volontairement entre, accorder une part d’attention aux nombreux distracteurs internes et externes, et offrir une attention exclusive et soutenue à l’autre, aux autres. L’une des conditions pour y parvenir est de considérer que l’autre est important et que la relation est importante.
Mais être présent à l’autre nécessite aussi d’être présent à soi. La présence à l’autre n’a de vertu que si l’autre sent ma présence, pas seulement mon attention, et que je ressens consciemment ce que cet échange nous fait, me fait, et que je peux en tenir compte, en faire état si nécessaire dans la relation. Sinon je ne serais qu’un magnétophone avec réduction des bruits d’ambiance. Donc, pas de véritable présence à l’autre si de façon régulière, volontaire, je ne sais pas être présent à moi-même.
Si l’on n’arrive pas à être présent à l’autre, c’est qu’il y a des raisons. Et ces raisons alors il faut les éclaircir, les interroger. Avons-nous peur de la relation ? Ne désirons-nous pas vraiment la relation ? N’est-ce pas le bon moment ? Peut-être aussi est-ce l’autre qui résiste à notre présence, qui ne la souhaite pas, qui en a peur. Si la présence à l’autre est une décision, celle-ci ne peut être forcée et n’est fructueuse que si elle est éclairée, réciproque et sincère.
« La vie garde une valeur tant qu’on en accorde à celle des autres », Simone de Beauvoir. C’est dans la relation à l’autre que cette valeur apparait, prend sens, se développe, se concrétise et peut s’étendre à tous les hommes sans qu’il y ait alors besoin d’une relation effective. Mais c’est l’expérience quotidienne d’une présence véritable à l’autre qui nourrira ce sentiment d’universalisme qui fonde l’humanisme.
Patrick Margron