Le roi Matthias n’en pouvait plus et il ne pouvait l’avouer. Ses sujets n’auraient pas compris et se seraient demandé s’il était devenu fou ou cynique.
Il possédait l’un des plus beaux et grands châteaux de la contrée. Un parc à l’anglaise l’entourait, avec des arbres centenaires, un grand étang, des massifs de fleurs dans des tons harmonieux.
Et pourtant, il s’ennuyait. Son emploi du temps était fixé par avance par son chambellan. Il se devait à ses sujets toute la semaine. Pas un soir ou un week-end, où il ne devait assister à un dîner. Des dîners où l’on parlait souvent de la même chose, où l’on croisait les mêmes personnes. Il aspirait au bonheur simple mais vrai.
Il ne partageait plus grand-chose avec sa femme. Il aspirait à la liberté. Mais comment atteindre la liberté, lorsqu’on est roi ?
Alors, il décida de charger en secret, un messager de découvrir le pays de la liberté.
– Sire, je suis d’accord et je garderai votre secret. Mais comment reconnaitrai-je la liberté ?
– Voyons, Justin. C’est quand tu ne supporteras plus aucune contrainte. Tu n’auras plus aucun engagement à respecter.
– Mais, là, je ne suis pas libre. Je dois aller pour vous à la découverte du pays de la liberté.
– Je te donnerai ma fille à marier, si tu m’indiques précisément où elles sont.
– Alors, Sire, vous pouvez compter sur moi.
Voici trois mois que Justin sillonnait tous les chemins du royaume. Il commençait à perdre espoir d’honorer la promesse faite au roi.
A ce moment-là, il aperçut une magnifique plage de sable fin, déserte, plantée de palmiers et de filaos. Il décida de s’installer sur une chaise longue qui était là, comme si elle attendait sa visite. A peine était-il assis, qu’une jeune fille vint vers lui et lui proposa un cocktail coco. Il accepta avec joie, tout surpris de la découvrir là.
Elle le servit puis s’assit à côté de lui. Alors, il se leva, anxieux de ne plus pouvoir repartir ensuite et d’être ainsi privé de liberté.
Il reprit son chemin à contrecœur mais il avait une mission. Il marcha toute la journée puis s’arrêta en chemin pour réfléchir à ce que pouvait être le pays de la liberté : plus d’obligation de quelque sorte que ce soit ! Il serait débarrassé des corvées quotidiennes, n’aurait plus à voir les gens qui l’ennuyaient, ni à faire sa déclaration d’impôts. Il pourrait prendre ses repas à l’heure de son choix, se lever quand il ne serait plus fatigué, partir en vacances dès qu’il le souhaiterait. Il irait travailler quand il en aurait envie car il aimait son travail mais ne voulait pas de contrainte. Il allait également se libérer de l’engagement qu’il avait pris vis-à-vis du roi. Celui-ci lui réclamait la liberté et entravait la sienne. Tant pis pour sa fille. De toute façon, il en était certain, elle était trop mignonne pour être honnête. Elle voudrait encore plus d’argent et le forcerait à travailler. De plus, il lui faudrait gouverner à la mort de son père. Il ne serait pas libre.
Alors, il décida de continuer son exploration jusqu’à trouver l’endroit de ses rêves.
Il marcha durant des années. Rien n’était assez beau pour décider de se poser et profiter de sa liberté. ¨Parfois, il passait quelques jours ou quelques semaines ici ou là mais son repos était dérangé par des habitants ou des passants. Il se liait d’amitié mais se rendait compte qu’il allait tomber dans les mêmes travers que ceux qu’il cherchait à fuir.
Alors, que faire ? S’il revenait auprès du châtelain, celui-ci le considérerait comme un incapable. Etait-il contraint de marcher sans but jusqu’à la fin de ses jours ?
Sa mort ? Il n’y avait pas beaucoup songé jusqu’à présent. Et pourtant, inexorablement, il s’en rapprochait. Quel regard porterait-il sur sa vie, lorsqu’il serait sur le point de mourir ? C’était une question qu’il ne s’était jamais posé.
Il s’installa au pied d’un rocher sur un flanc de montagne. Le ciel était dégagé. Il voyait à perte de vue. Il revisitait tous les moments où il s’était ennuyé. Mais qui donc lui avait imposé de les supporter ? C’était lui tout seul. Il aurait pu refuser ou s’absenter ou exprimer son manque d’envies mais il ne l’avait pas fait. Il comprit tout à coup que la réponse était en lui.
C’était, en bon messager qu’il était, le message qu’il allait porter au roi. Il était impatient de revenir, maintenant qu’il avait la réponse et de profiter de la nouvelle vie à laquelle il allait pouvoir goûter. Il eut du mal à retrouver son chemin mais, lorsqu’il aperçut, au loin, les tours du château, son cœur bondit. Il se fit annoncer auprès du roi qui, tellement impatient après tant d’années de pouvoir découvrir enfin le pays de la liberté, vint l’accueillir en personne.
– Sire, j’ai découvert le pays de la liberté !
– Indique-moi vite où il est. J’ai tellement attendu ce moment et ai dû entre-temps tellement supporter de contraintes.
– Sire, il est là.
Alors le châtelain se mit dans une colère tellement forte que tous ses sujets l’entendirent crier et traiter son pauvre messager d’imposteur et de crétin. Le messager attendait que l’humeur de son roi devienne plus sereine. C’est ce qui advint peu de temps après. Le souverain se calma d’autant plus vite que son messager était resté calme.
– Sire, jamais je ne me permettrais de vous manquer de respect. Ce que j’ai découvert, c’est que la liberté est en chacun de nous. Toutes les obligations que nous subissons, ce sont nous qui nous les infligeons. Il nous suffirait de dire non. Tout ce que nous ne faisons pas malgré nos envies, c’est nous qui nous restreignons nous-mêmes. Le bonheur que nous ne saisissons pas, c’est nous qui refusons de le saisir par peur des jugements. Pourtant, ceux qui jugent, ne le font que par jalousie ou selon des principes qu’ils ont eux-mêmes reçus et auxquels ils ont adhéré sans jamais les remettre en cause. Nous ne sommes entourés que de gens privés de liberté. Les engagements que nous repoussons en permanence, en disant « dès que j’aurai du temps, je m’engagerai pour telle ou telle cause … », c’est nous qui ne les mettons pas en priorité dans notre vie. A nous de réfléchir pourquoi nous ne le faisons pas. Merci, Sire, de m’avoir permis de découvrir le pays de la liberté.
Le châtelain était manifestement très ému. Après son accès de colère, il paraissait maintenant presque abattu. C’était la première fois que le messager le voyait ainsi. Il était en train de prendre conscience de ce que les propos de son messager signifiaient pour lui. Il avait gaspillé beaucoup de temps. Que par sa faute à lui ! Il était temps de réagir et de s’accorder le bonheur dont il rêvait. Il allait prévenir sa femme, sa fille, son entourage, ses sujets des décisions qu’il était maintenant prêt à assumer.
Pendant cette longue réflexion, durant laquelle il avait réinitialisé son « disque dur », il avait totalement oublié son messager. Lorsqu’il reprit conscience de la présence de celui-ci, son expression s’était totalement transformée. Il avait un visage à la fois apaisé et décidé. Il savait ce qu’il lui restait à faire pour vivre heureux jusqu’à la fin de ses jours et plus personne ne pourrait entraver son bonheur.
Il se tourna vers son messager et lui dit :
– Je t’avais promis ma fille avant ton départ. Elle a pris quelques années de plus. La veux-tu malgré tout encore comme épouse ?
– Sire, j’ai découvert la liberté en moi. Je vivrai dorénavant avec elle. Cela ne veut pas pour autant dire que j’ai envie de vivre seul mais d’être avec une épouse que j’aime et qui m’aime. Alors, plus rien ne sera contrainte car nous ferons chacun en fonction de l’autre et pour le bonheur de l’autre. Aussi, je n’imposerai pas à votre fille le fruit d’une promesse faite par son père sans la consulter. Je la laisse libre de me choisir ou non comme époux. C’est le prix à payer pour que nous nous sentions libres ensemble. et ainsi être heureux jusqu’à la fin de nos jours.
Le roi acquiesça et lui exprima toute sa reconnaissance.
Les mois qui suivirent, on vit quasiment tous les jours le messager et la fille du roi se promener dans le parc du château. Ils faisaient connaissance, et découvraient la liberté ensemble.
Isabelle Vitte-Blanchard