Peut-on parler d’un humanisme mondial ? L’exemple de la liberté en Europe et en Chine

L’humanisme est le mouvement de pensée qui place l’humain au-dessus de toutes choses. Seulement, notre manière de définir l’humain diffère selon les cultures. On peut donc déduire que la liberté d’agir est, elle aussi, conçue différemment suivant les civilisations. Pour le constater, nous allons étudier le concept de liberté en Europe et ses équivalents en Chine. Nous verrons en quoi, en cherchant à universaliser un concept, nous risquons une globalisation des conceptions similaires à celui-ci, et donc un appauvrissement de la pensée.

En Occident, la liberté d’agir est considérée comme une puissance d’action, une possibilité, un pouvoir. Cette puissance désignera aussi bien nos capacités physiques ou mentales, que les moyens que nous sommes capables de déployer pour accomplir une fin. Souvent, nous la modérons par le concept d’égalité au-delà duquel elle devient un excès que l’on nomme licence. Par exemple, dans l’Etat de droit rousseauiste, ce qui borne notre liberté c’est l’égalité en droits et en devoirs, ce qui implique de respecter la liberté d’autrui comme la sienne. 

En Chine, cependant, il n’y a pas de traduction de notre conception européenne de la liberté d’agir avant le XIXème siècle

Le concept le plus proche est celui de dúlì (独立)  que l’on peut traduire par autonomie ou indépendance matérielle. Là où, nous autres européens, pensons la liberté en lien avec l’égalité entre les individus, les Chinois mettent l’accent sur l’harmonie (yízhì 一致) entre les individus et le monde qui les entoure.

L’harmonie n’est donc pas une égalité de possessions comme en Europe où chaque individu, quel qu’il soit,possède des droits et des devoirs mais une égalité permettant à chacun de posséder un rôle qu’il choisit ou non de remplir au sein du monde.

C’est au XIXème, après les traumatisantes guerres de l’opium, et depuis une vision japonaise de l’Europe, que notre conception de la liberté d’agir est traduite en Chine par le terme de zìyóu (自由). Dans les faits, il ne s’agit pas exactement de la même notion. Plus qu’une puissance d’agir, il s’agit d’un sentiment de liberté correspondant à une absence de toute contrainte extérieure. En colonisant la Chine — sous le motif de communiquer des idées universelles, telles que la liberté, l’Europe a agi à l’inverse de ses valeurs, et notamment de sa conception de la liberté. Pour montrer l’universalité du concept de liberté, elle a en fait englobé des conceptions similaires dans le monde, jusqu’à ignorer la richesse inhérente à celles-ci. À la suite de cet épisode colonial, on observe de grandes modifications conceptuelles en Chine. 

Pendant la période révolutionnaire chinoise du XXème siècle, un nouveau terme — fānshēn (翻身) — va apparaître pour désigner l’émancipation des pauvres du joug des propriétaires fonciers. Il renvoie à une double idée : d’un côté la dúlì (独立) ou l’autonomie matérielle acquise en renversant les tyrans locaux ; de l’autre la zìyóu (自由), qui consiste à garantir la liberté individuelle. On a pu mesurer l’impact de l’influence de l’idée européenne de liberté en Chine, avec sa vision plus individualiste de la liberté par l’apparition du terme gèrén (个人) utilisé pour qualifier le caractère individualiste de l’enfant-roi lors de la politique de l’enfant unique. 

Nous pouvons donc nous demander si ces conceptions nouvelles n’auraient pas eu un impact négatif en changeant l’idée confucianiste millénaire que l’individu dépendait de ses relations à autrui. Dans cet individualisme gèrén (个人), la dúlì (独立) semble être devenue une forme d’indépendance totale, coupée de toute relation interpersonnelle. Il devient alors difficile d’assurer une harmonie (yízhì 一致) entre les individus, puisque les relations deviennent intéressées (rénjì guānxì 人际关系), au lieu d’être fondées sur des sentiments de réciprocité (rénqíng guānxì 人情关系).

Comme nous avons pu le constater avec l’exemple de la liberté, une démarche visant à unifier des spécificités culturelles en un concept pseudo-universel finit par gommer les spécificités qui font la richesse d’une culture. L’échange entre l’Europe et la Chine de l’époque aurait pu être enrichissant pour les deux partis, si la démarche de l’Europe n’avait pas consisté à imposer ses conceptions à celles d’autrui. 

En cherchant à définir un humanisme mondial — comme l’ont cherché les conventions d’Amsterdam d’Humanists international — ne cherchons-nous pas à gommer les spécificités des différentes traditions se rapportant à l’être humain dans le monde ? Plutôt que d’imposer le terme d’humanisme qui vient d’un contexte culturel et historique bien particulier, ne devrions-nous pas inventer un néologisme ou reprendre un terme de leur langue pour en saisir l’aspérité ? Face à ces questions, nous avons une réelle responsabilité : celle de faire preuve de discernement en reconnaissant la spécificité de chaque culture.

William Faltot

Sources : 

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